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Dans le débat entre la génétique et l’environnement, l'épigénétique offre un éclairage précieux. Selon la perspective classique de la biologie, la maladie mentale est principalement déterminée par notre génétique, tandis que l'environnement a peu d'impact. Cependant, l'épigénétique nous révèle une réalité plus nuancée. Elle démontre comment notre environnement peut influencer l'activation ou la désactivation de certains gènes, modifiant ainsi notre physiologie et notre comportement, y compris notre santé mentale. Ainsi, l’épigénétique transforme la psychiatrie et met fin au débat sans fin entre les deux écoles de pensée, environnement ou génétique. La réalité est que les deux ont raison.
Arrêtons-nous à l’adolescence, qui est une étape cruciale où la personne traverse une panoplie de changements non seulement physiques, mais aussi psychologiques. La professeure Linda Booij, du département de psychologie de l’Université Concordia, explique qu’il y a beaucoup de changements dans le cerveau, notamment dans la région frontale. Ces recherches portent sur 37 couples de jumeaux identiques québécois de 15 ans. Les résultats démontrent des traces observables nommées des modifications épigénétiques. Ainsi, le passage de l’enfance à l’âge adulte, l’environnement extérieur, les changements biologiques internes et les expériences individuelles peuvent interagir avec les gènes et modifier leur expression. Donc, plus les jumeaux connaissent des expériences différentes et se développent dans des environnements distincts, plus ils risquent d’être dissemblables.
Des études ont montré que des expériences traumatisantes ou stressantes peuvent modifier les marqueurs épigénétiques, altérant ainsi le fonctionnement de certains gènes impliqués dans la régulation du stress et de l'humeur. Par exemple, des chercheurs ont observé des différences dans les schémas d'expression génique chez les individus souffrant de troubles de l'anxiété ou de la dépression, par rapport à ceux qui ne présentent pas ces troubles. Cette découverte met en lumière l'interaction complexe entre la génétique et l’environnement, soulignant l'importance de prendre en compte les facteurs épigénétiques dans la compréhension et le traitement des troubles mentaux.
Le docteur Gustavo Turecki, directeur du département de psychiatrie de l’Université McGill, expose son questionnement en lien avec les personnes victimes de maltraitance :
« On se demandait toujours pourquoi une personne qui a été victime de maltraitance en bas âge est souvent marquée pour le reste de sa vie. » Lépigénétique répond: à cause de changements moléculaires. Les expériences traumatisantes de la petite enfance se graveraient sur les gènes du cerveau grâce à des modifications chimiques: les altérations épigénétiques.
Le docteur Turecki se focalise sur le suicide. Dans ses recherches, lui et ses collègues ont analysé le cerveau de 46 hommes suicidés et de 16 hommes décédés subitement. Ils ont constaté des changements épigénétiques sur 366 gènes dans l'hippocampe des personnes suicidées. Ces résultats suggèrent une reprogrammation épigénétique importante chez ces individus. La professeure Linda Booij souligne que les modifications épigénétiques pourraient être liées à divers troubles tels que la dépression, l'anxiété, le stress post-traumatique, la schizophrénie, la bipolarité et l'anorexie. Il sera crucial à l'avenir d'évaluer les changements épigénétiques potentiels causés par un traitement psychologique. La Pre Booij mène actuellement une étude sur des adolescents dépressifs suivant une psychothérapie pour comprendre si leur profil épigénétique évolue en conséquence.
Les implications de ces découvertes sont significatives pour ceux confrontés à des problèmes de santé mentale. Tout d’abord, cela met en évidence l'importance de l'environnement dans la promotion du bien-être mental. Des environnements favorables, offrant un soutien social, des expériences positives et des stratégies de gestion du stress, peuvent favoriser des schémas épigénétiques bénéfiques.
Le professeur Luigi Bouchard du département de biochimie de l'Université de Sherbrooke explique que plusieurs facteurs peuvent entraîner des changements épigénétiques, tels que l'alimentation, l'activité physique, un environnement social néfaste ou favorable, les médicaments, le tabagisme et le stress. L'âge, en lui-même, est associé à une accumulation de changements épigénétiques sur les gènes.
Deuxièmement, cela offre de l'espoir en matière de traitement. Comprendre comment l'épigénétique influence la santé mentale ouvre de nouvelles voies pour le développement de thérapies ciblant les mécanismes épigénétiques sous-jacents aux troubles mentaux. Par exemple, des médicaments capables de modifier spécifiquement les marqueurs épigénétiques associés à la dépression pourraient offrir des traitements plus efficaces et personnalisés.
En outre, la sensibilisation à l'épigénétique peut contribuer à réduire la stigmatisation associée aux troubles mentaux. En reconnaissant que ces conditions résultent d'une interaction complexe entre les facteurs génétiques et environnementaux, nous pouvons promouvoir une vision plus holistique de la santé mentale, mettant l'accent sur la prévention et le soutien plutôt que sur la culpabilité ou la honte pour la personne souffrant de la maladie mentale que pour les membres de l’entourage qui l’accompagnent.
En conclusion, l'épigénétique ouvre la voie à l’exploration des interventions personnalisées. En comprenant les schémas épigénétiques spécifiques associés à différents troubles mentaux, les professionnels de la santé pourraient être en mesure de concevoir des plans de traitement plus précis, adaptés aux besoins individuels de chaque patient. Cela pourrait conduire à des approches plus efficaces et à des résultats améliorés pour ceux qui luttent contre des problèmes de santé mentale. Une touche d’espoir pour des nouvelles possibilités en lien avec la prévention, le traitement et le soutien des personnes confrontées à ces défis.